dimanche 22 mars 2015

Première Épitre Indienne 2015









Première Épitre Indienne 2015

L'Inde est un pays complètement fou. Elle se peut pas!  Pays impossible. Et c est sans doute pour ca qu' il m a fallu y revenir encore une troisième fois, pour me convaincre, les deux pieds dedans, qu'elle existe pourtant, encore et toujours, bien que cela soit logiquement impossible.

"Incredible India!"
Après l'arrivée dans une aérogare toute neuve, propre, moderne, efficace et accueillante (l'aéroport Indira Gandhi International était en vastes rénovations lors de mon précédent voyage en 2010), je retrouve - outre mon "vieil" ami Puneet - les routes poussiéreuses encombrées de camions en tous genres et tous états de délabrement, conduits de diverses manières pas catholiques (normal en pays Hindou!) même aux petites heures  de la nuit.  "Velcom to India!"  C est reparti.  Déjà on voit une "petite" différence avec la Thaïlande...

Je retrouve "mon" Inde surpeuplée, crasseuse, poussiéreuse, sale, vivante, bruyante, criarde, exagérée, débordante, cocasse, renversante, attendrissante, affairée, bordélique, inefficace mais performante, débrouillarde, tassée, verdoyante, chaleureuse, accueillante, curieuse, klaxonnante (!!), polluée, chaotique, colorée, attachante et rebutante a la fois, cacophonique, exubérante, prude, conformiste, explosive, irrépressible, grisante, magique, époustouflante, déconcertante...

Je pourrais continuer pendant un milliard deux cents millions d'adjectifs, s'il y en avait autant en notre langue, et je n'aurais même pas encore commence a cerner le caractère... ineffable... de ce peuple et son déroutant pays. 

Je serai, pour le temps que je passerai dans la capitale, hébergé dans le minuscule mais convenable appartement que Puneet partage maintenant avec sa copine Neetole, dans un des quartiers sud (Adchini). Une petite pièce, environ douze pieds sur quinze, dans le coin de laquelle un comptoir et un petit évier servent a la cuisine. Une salle de bains occupe le cinquième environ de la superficie totale. Une cuvette, un boyau qui joue le même rôle que le bidet, deux robinets, l un pour l'eau pompe lors qu'il y en a de fournie par la municipalité (entre 6 et 7 h, ainsi qu'entre 18 et 19 h), et l'autre nous donne l'eau du réservoir sur le toit de la maison.  C'est assez standard en Inde et ca fonctionne très bien.  

Ils sont a la fin de la vingtaine, et leurs parents respectifs ne savent même pas qu'ils partagent l'appart avec une personne de sexe opposé. Ca ferait scandale et quelques parents en pèleraient une crise ce cœur! 

Un des amis doit se marier bientôt. Il est de tradition chrétienne, sans être pratiquant; son épouse est de tradition hindoue, sans être pratiquante non plus. Le mariage civil leur conviendrait parfaitement, mais a cause des deux familles, on doit passer par toutes les cérémonies religieuses, des deux cotes. Ce qui implique aussi certains autres problèmes de compatibilités, qu'avec beaucoup d'efforts, de pourparlers et de bonne volonté on finira sans doute par résoudre.

Je m attarde sur ces petits détails concrets, d'une importance assez relative, mais révélateurs des conditions de vie au quotidien des millions de gens en ce pays.

Je ne me suis pas lancé dans des visites de musées ou autres attractions. J'ai plutôt simplement pris de très longues marches a travers la ville, dans le secteur sud, ou j'ai déjà quelques repères datant de mon précédent séjour. Je m'imbibe de l'atmosphère et savoure l'ambiance. Simplement.  Ceci justifie déjà amplement mon voyage... mais il y aura plus. Celui-ci s annonce plus humain, plus sociable et social. J'ai parcouru le pays d'un bout a l'autre en 2008 et 2010 (c est inconfortable et épuisant) et j ai beaucoup vu; je vais bouger bientôt, mais probablement pas autant. Cette-fois ci je veux aller derrière les apparences,  au-delà de la surface des choses. 
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J ai à date passé beaucoup de temps dans l'appartement en soirée, en compagnie de nombreux autres amis de mes amis. Tous des gens très intéressants, instruits, cultives, étudiants ou gradues, plusieurs ont des penchants artistiques, tous ont des opinions politiques, ce qui n'empêche pas certains d'être impliqués dans le domaine des affaires, a s'occuper de "start-up", démarrage d'entreprises; l'un d'eux est justement en train de mettre sur pied une petite compagnie qui fera de la bouffe santé sur mesure, destinée a être livrée le midi aux gens a leur travail. Un peu différent mais proche du principe des livreurs de Mumbai (Dhaba wallahs) qui vont chercher à la maison les plats prépares pour le mari (ou le fils) par l'épouse afin de les livrer au travail pendant l'heure du lunch.

Neetole travaille dans une revue d'idées (Tehelka), qui fait du journalisme d'enquête, très critique et dénonciateur.  Un des articles que je lisais parle d un groupe de gens dans le sud de l' Inde (les Koravas) qui sont systématiquement utilisés comme boucs émissaires et coupables de service par la police locale, depuis des lustres. Sous le Raj Britannique, ils avaient été classes "Criminal Tribe", avec 150 autres communautés à travers le pays. Depuis cette lointaine époque on a pris pour acquis qu'ils sont naturellement criminels (ce qui est évidemment faux). Chaque fois donc qu'un crime est commis on a déjà des coupables a accuser.  Les gangs sont organisés avec la police: on partage le butin, et la police a déjà prévu d'accuser, systématiquement, ces pauvres Koravas (parfois à répétition les mêmes individus, inventant les mêmes témoins....), dont le dossier criminel s alourdit inévitablement, les rendant encore plus crédibles comme suspects désignes et coupables d'office la prochaine fois.  On vient les arrêter chez eux, parfois la nuit, on les bat, les torture, les viole, et parfois ils ou elles en meurent - ou se suicident parce qu'ils n'en peuvent plus. Une commission d'enquête se penche présentement sur la question.  Il n y a heureusement pas que des pourris dans cette gigantesque administration, quand même.  Louons leur travail titanesque, courageux, nécessaire et sisyphéen.

Il y avait un autre article sur des journalistes et employés de quelques nouvelles chaine de telle, qui n'ont pas été payés depuis des mois, mais qui continuent à travailler, car ceux qui quittent ne reçoivent ni leurs arrières ni les diverses compensations afférentes, et perdent aussi leur droit de contester. Alors ils espèrent. Pendant que quelques salauds de boss s'emplissent les poches...

Hier soir, devant tenter de joindre les amis qui se rendaient au festival de Jazz au parc Nehru, dans Janakyapuri, mon téléphone cellulaire rentrait mal et nous nous sommes manqués. (Les communications en un anglais très "accentué", dans un environnement très bruyant, sur un appareil qui fait des choses bizarres que je ne lui ai pas demande, me posent un gros défi.)  J'ai abouti, et c'était aussi bien, dans un festival de musique Soufie Sindhi présenté dans une autre partie du même parc (accompagné d'un festival de cuisine de même tradition, plutôt Rajastanie, comme j'ai cru comprendre). Transporté sur un nuage de rythmes complexes et endiables, de sons hypnotisants, pendant une couple d'heures.... Quel génie musical habite les gens de ce pays!  

Et le génie culinaire n'est certes pas en reste, avec ses savants mélanges d'épices qui laissent longtemps en bouche une délicieuse impression qui fait durer le plaisir.

Garder en bouche le souvenir exquis de tous mes voyages en Inde, voila un intéressant défi pour le retour.

Épitre Siamoise





Le pays des Dix mille Wat

Et des soixante dix millions de sourires. Les lecteurs (rassurez-vous, je n'oublie pas les lectrices!) auront compris que ce n'est pas mon orthographe qui défaille, et que les wat en question ne sortent pas de nos prises de courant, mais que ce sont des temples bouddhistes. Y a du Bouddha dans le coin!  Outre les temples, tous magnifiquement ornés, on trouve presque à chaque demeure un petit oratoire, genre de sanctuaire miniature, format boîte aux lettres de campagne, avec des statuettes, lampions, offrandes, fleurs, encens... 

Ce peuple a la réputation, bien méritée et vérifiable sur place, d'être très souriant. Et tant de si aimables sourires sur des visages si beaux ne peuvent que combler le visiteur!

Le pays de la beauté, c'est ainsi qu'il mériterait d'être appelé. À date tant de constructions et d'aménagements que j'ai vus dénotent un sens artistique poussé, un penchant fascinant pour la fioriture, tout spécialement dans le cas des temples bouddhistes, qui sont légion. Les maisons traditionnelles en bois aussi sont superbes.  Les constructions modernes, quoique d'une facture différente, sont généralement fort belles. Ces gens ont la beauté dans les gènes, faut croire!  Nos architectes, planificateurs et spécialistes en aménagement devraient venir faire des stages en ces contrées...

Les bâtiments publics tels écoles, instituts, collèges, universités, bureaux de ministères, mairies, postes de police, et autres édifices gouvernementaux sont construits de manière soignée, entourés d'un grand terrain planté de nombreux arbres, de plantes ornementales, de fleurs, etc.  Le tout est souvent entourés de murs avec grilles ouvragées, le nom de l'institution est la plupart du temps écrit en grandes lettres en bronze fixées sur un mur de tuiles en granit noir ou autre matériau et on n'oublie pas de mettre les armoiries du royaume, de décorer le mur ou les grilles de drapeaux du pays.  

La présence du gouvernement est en ce pays très manifeste. Il dégage (ou impose, c'est selon!) une image forte. Ceci, combiné à l'attitude très ouverte et positive des gens (mais jamais hautaine ou condescendante comme souvent les ressortissants de grands empires peuvent l'être!), donne l'impression d'un peuple affirmé, maître d'un pays assumé, fier de son histoire, de ses réalisations, sûr de son (ou plutôt ses) identité(s), travaillant fort et confiant en l'avenir - le grand nombre d'enfants et de jeunes est au moins garant d'une démographie qui ne les laissera pas tomber comme nous sommes en train de le faire chez nous...  La surpopulation de ce petit territoire pourrait cependant poser problème dans l'avenir. 

Reste à voir si mon commentaire n'est qu'une impression, celle d'un étranger analphabète devant le discours national, encore sous le charme d'un premier et très court contact avec le pays. Quand on creuse un peu... j'ai appris à me méfier de moi-même en ce genre de choses!

Les portraits du roi, ou du roi et de la reine, ou de la princesse, ainsi que les drapeaux de la famille royale, sont omniprésents. De petites photos par-ci, dans les commerces et les maisons, des calendriers avec son image, des affiches format panneau-réclame... décidément, la royauté est extrêmement présente en ce pays fort spécial.  En écrivant ceci je vois déjà le poil de mes lecteurs (et -trices!) antiroyalistes se hérisser.  Il faut comprendre qu'en ce pays à la très longue, riche et complexe histoire, on aime vraiment son roi!  Rien à voir avec l'attitude ben compréhensible des québécois envers la royauté britannique, qui représente un rappel constant de mauvais souvenirs de défaite, de colonisation et de domination. Le roi Bhumibol est vraiment un personnage extraordinaire qu'on a toutes les raisons d'aimer.  Personnage extrêmement cultivé (notamment en sciences, en musique et en langues), brillant, à l'esprit vif, curieux et ouvert, humble, humain et très proche de son peuple, il a pendant des décennies parcouru sans relâche le pays à la tête d'un convoi emmenant une armée de spécialistes en tous genres (médecins, agronomes, ingénieurs civils, hydrauliciens, travailleurs sociaux, etc) dans tous les coins et recoins du royaume, afin d'observer personnellement et très concrètement les conditions de vie des gens, s'informer des problèmes auxquels ils sont confrontés, et travailler à les régler. 

Je l'ai vu à l'oeuvre dans quelques documentaires tournés par des équipes étrangères il y a quelques décennies alors qu'il était plus jeune et que sa santé lui permettait de déployer une énergie incroyable, ce que son âge vénérable ne lui permet hélas plus de faire. Il parle directement aux paysans, artisans, ouvriers, aux enfants, écoutant ce qu'on lui raconte, demande ou suggère, il discute franchement, propose des solutions, vérifie si cela convient, met bien sûr dans le coup les spécialistes concernés, donne des indications sur les démarches à entreprendre, les projets à mettre en oeuvre.  Et les choses se font - le roi y voit personnellement!  Gare à qui oserait contrecarrer les plans convenus ou détourner les fonds alloués!

Quant aux gouvernements qui se succèdent, disons poliment, à un rythme plus rapide que chez nous, et à l'honnêteté souvent douteuse des politiciens (je reste encore euphémique et poli), bon, on peut certainement trouver quelque bien à en dire en cherchant comme il faut, mais les gens d'ici n'ont pas que des éloges à leur faire.  D'ailleurs, les militaires, exaspérés de voir les deux principaux clans s'affronter, ont pris le pouvoir l'an dernier pour ramener le pays à l'ordre.


Observations très terre-à-terre...

De manière générale le pays me parait très propre - ce qui est remarquable pour un pays tropical, et fait un contraste énorme par rapport à l'Inde, notamment.  Pratiquement pas de détritus par terre, poubelles présentes partout, bacs de recyclage parfois, service de cueillette d'ordures dans des camions semblables aux nôtres. Pays bien organisé et ordonné, où on conduit de manière courtoise, respectant toute l'excellente signalisation routière conforme aux standards internationaux.  Sur les routes principales, fréquemment empruntées par les étrangers, on a même la délicatesse d'indiquer aussi en caractères «lisibles» le nom des localités. Et les routes sont bien pavées - rien à voir avec celles de certains pays du tiers monde comme le Québec.  Tout le parc de véhicules est très récent et propre, tout y fonctionne bien.  La plupart des motocyclistes (et comme dans toutes ces contrées d'Asie, il y en a!) portent un casque - ce qui n'empêche pas d'être à trois ou quatre sur le véhicule mais bon, disons que ça réduit le nombre de véhicules en circulation... Dans l'autobus pris entre Chiang Mai et Chiang Rai, les sièges étaient munis de ceintures de sécurité - je n'ai jamais vu ça ailleurs!  Faut dire que c'était une bonne compagnie, assez haut de gamme à ce que je vois: on fournissait même aux passagers une petite bouteille d'eau et un genre de beigne fourré, disponibles dans le filet derrière le banc devant nous.  Le chauffeur apposait une étiquette sur nos bagages qui étaient soigneusement déposés dans le compartiment sous l'autobus.  La gare d'autobus était très grande, très propre, bien organisée, avec un bureau d'information efficace (utile pour l'étranger qui ne déchiffre pas le très décoratif mais hermétique alphabet Thai), et toujours des préposé(e)s affables.
  
Plein de touristes chinois viennent ici -  une ligne d'autobus traverse la partie de Birmanie (ou Myanmar, selon quelle junte est au pouvoir là-bas) qui nous sépare de leur pays.  Pour accommoder le touriste de l'Empire du Milieu, plusieurs commerces présentent des informations en chinois.  Chacun a ses «amaricains», nous on a les nôtres!

Si, justement, tant de touristes de partout y viennent, c'est qu'il y a énormément à voir, et que le voyageur qui y vient une première fois voudra y revenir encore et encore. Contrairement à d'autres pays non moins intéressants à découvrir, mais plus difficiles à «digérer», la Thaïlande me parait accessible, accommodante, suffisamment dépaysante, mais moins traumatisante pour les occidentaux habitués à certains standards et à un certain confort. (Voyez comme j'ai appris ma leçon: le bureau du tourisme indien ne m'a jamais donné de pourcentage suite à mes épîtres écrites là-bas, mais ici je caresse encore quelque espoir, si j'écris des choses gentilles!) 


La magie de la nuit tropicale

J'y trouve un je-ne-sais-quoi difficile à cerner, mais qui exerce un attrait mystérieux sur moi, pourtant si porté vers l'austérité des climats boréaux.
Qu'est-ce donc qui m'attire tant? La chaleur moite de la nuit tropicale, ses odeurs, qui sont mélange de feu de charbon de bois, d'un peu d'exhaust, d'un peu de fétidité des ordures ou des caniveaux, mais aussi odeurs de bouffe, parfois de poisson, et parfum exquis mais subtil des fleurs et de la végétation?  Le mystère de l'obscurité, éclairée bien sûr de mille lumières, fréquemment colorées, mais qui laisse tout de même la plus grande part du décor en retrait  dans la pénombre, ou carrément invisible? Le «calme animé», la vie sociale le long des rues, la vie familiale dans les maisons ou les cours après le travail du jour? Le bruit des nombreuses petites motos et sa réverbération sur les bâtiments?  Parfois un fond musical émanant d'un appareil radio ou une télé? Si un peu de nature est présente où on se trouve, des chants étranges d'oiseaux ou d'insectes qui nous sont inconnus? Des voix, dans une langue qui nous rappelle que le métro de Montréal atteint peut-être les régions reculées de Laval, mais ne se rend pas encore jusqu'ici? La température encore chaude, mais plus supportable et sensuelle? Ou tout simplement l'exotisme grisant des nuits d'ailleurs?

La chaleur accablante évapore l'eau et emplit le ciel d'une perpétuelle blancheur nébuleuse - les montagnes, parfois pourtant distantes de quelques kilomètres seulement, sont à peine visibles dans l'air brumeux. Serait-ce pourquoi dans l'art pictural chinois les paysages représentent si souvent des montagnes perdues dans la brume?


Sous les ciels brumeux du sud-est de l'Asie, dans la nuit tropicale, le huard migrateur, perplexe et en sueur, conclura cette épître. Curieusement, je viens de le remarquer dans le coin de l'écran, à 11h11 dans la soirée du 11...

Sawadi kap!